23 janvier 2006

Siloé

J’ai attaqué Siloé - je viens de passer le Prologue et Simon se trouve
maintenant au sana. C’est, ma foi, assez prenant, mais, à ce stade de
ma lecture, je crois que ce roman est moins audacieux que
« Baleine ». Le Prologue notamment, me semble l’oeuvre d’un
premier de la classe, d’un fort en thème plutôt que d’un écrivain.
Simon Delambre y manque notamment d’épaisseur. C’est sans doute
l’effet voulu, et ça colle bien à l’ambiance du texte. On ne voit au
fond dans ce Prologue qu’un étudiant boudeur, vaguement
neurasthénique, qui, à quelques intermittences près (celles, n’est-ce
pas, du coeur), a comme cessé d’habiter son corps. J’ai un peu pensé
à certains héros de Hermann Hesse en découvrant Simon. Dans sa
répudiation des nourritures terrestres, il évoque par exemple un
Harry Haller. Mais il manque à cet étudiant bachoteur et plutôt bien
né une véritable fêlure pour faire de lui un loup des steppes. J’ai
envie de dire, heureusement qu’il tombe malade. Autrement, le
désarroi de cet agrégatif épuiserait. Le récit tournerait à vide. Car la
tuberculose est le signe de Simon. Il y tend et, malade, il se met, au
début de la deuxième partie, à écrire, et gagne illico en profondeur.
Il accède au symbolique, agit sur le verbe. Peut-être que, du coup,
Siloé va devenir comme il est écrit dans le Prologue « le triomphe de
la ferveur spirituelle sur les raisonnements et les dérobades des
ergoteurs, de ceux qui évitent toujours de toucher au véritable sujet,
au fond des choses. » Et je n’attends que ça.
J’ai déjà quelques pronostics quant à la suite : j’imagine que Siloé va
prendre des accents de Kunstlerroman. Portrait de l’Artiste en jeune
phtisique. Si Gadenne s’engage dans cette voie, je risque d’être
assez exigeant. Toujours émouvant de voir la sensibilité artiste se
construire. Voir Proust par exemple. Mais ce qui est le plus
puissamment romanesque (romantique?) reste l’échec - il me semble
que c’est un des enjeux des Hauts Quartiers. L’élan vital, mais droit
dans le mur. Ensuite, la difficulté pour le romancier consiste à ne
pas faire du héros une larve existentialiste phénoménologiquement
déglinguée, soumise tout entière au solipsisme et à une Weltschmerz
de mauvais aloi, bref, sombrer dans le pathos. (J’en suis là avec
certains de mes personnages. Ma galerie d’écrivassiers postmodernes,
d’artistes dépités, etc.) Alors, effectivement, il y a bien le
salut par la dérision, dont V. est la championne. Pour ma part, à la
ville comme à la fiction, j’opterais plus volontiers pour le rire
néfaste, sarcastique de l’ange déchu. Le rire mélancolique de Lucifer
qui prend la Création pour cible de ses moqueries. How romantic!
C’est évidemment intenable, comme position. Ce non serviam
généralisé porte bien entendu sur le langage, qu’il récuse. Travail
insoutenable d’écriture vindicative contre les mots qui nous font.
That sounds kind of stupid. Voilà grosso modo où je me place. Et la
chose qui rassure et inquiète tout à la fois : Joyce n’est jamais loin,
j’écris contre ou « tout contre » lui. Père et pair.

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