23 février 2007

Le savon ou le faire

Je lis Le Savon de Ponge, un véritable poème, en cela qu'il est en train, à mesure qu'on le lit, de se faire, que sa seule fonction c'est ce faire, et ce dit faire, dans sa progression, laissé mécanisme à l'air - livre ouvert et in-fini que Le savon - dévoile ce qui fait ce poème tel, dévoile sa facture (comme on le peut dire d'un tableau par exemple, qu'il est de bonne ou de mauvaise facture), sa composition, soit l'acte lui-même, le geste poétique, l'émulsion, l'émotion poésie qui le fait savonner - c'est le même geste chez Ponge qui fait mûrir les mûres... - (oui, il y a tout de même une forme d'émotion chez Ponge), rapproche ce qui fait le mot de la chose (de ce qui fait la chose), l'être de l'essence, le substantif de son verbe, la nature de la fonction, le signifiant du signifié, dans une idéntité toute cratylienne, dans un vertige fixé, crispé, une dialectique bizarrement à l'arrêt ou en veille, rivé, ce geste, sur la composition tant chimique (pragmatique, triviale) que poétique du morceau de savon, seifekügel, manière de caillou, cette pierre qui dans les mains de l'homme - de l'homme au mains sales, celui qui a fait - se défait, fond, se perd, se métamorphose par le vide tout en purifiant lesdites mains sales du faiseur ébahi qui prend la peine de s'attarder, justement, sur le savon, d'y voir des vertus évidentes mais vues ni aperçues de personne encore, comme autant de lettres volées, dérobées (purloined chez Poe), de l'artisan aux mains sales, l'artiste aux mains d'artisan de certains de mes chantiers, qui enfant, ou comme enfant, comme rendu enfant, ravi à l'âge raisonnable des grands, se permet, se prend le luxe exorbitant de s'ébahir, de faire un pas de côté et de rêver, devant un café, dans un mastroquet strasbourgeois, un bel après-midi de février, de rêver le savon selon Ponge, sa métamorphose glissante par le vide, ce passage de la matière au rien, ce glissement, cet évanouissement, cette mousse qui pour se faire a besoin de l'eau, de la salive peut-être (mais a-t-on idée comme Molloy d'ainsi sucer des pierres, surtout de savon?), car cette pierre parle, mousse, s'épuise, se résorbe dans l'eau, se dissout, glisse, fuit, lave, purifie - cette pierre également pétrifie -, nous parle d'oubli sans qu'on entende cela, nous épuise du même coup, nous rendant plus propre, nous séparant - véritable -lyse - de notre sale qui nous est si propre, nous lavant, nous rendant propre à une nudité d'Eden, d'avant le Serpent, lisse, baveuse, luisante, innocemment pécheresse, à la fragilité - ce n'est que saloperie remise - de l'homme dont les siennes mains sont propres, et de se salir les mains en faisant encore, quitte à se frotter encore et encore, fatalement, au savon, au savon de l'autre, de la publication (éventuelle), des refus (avérés, nombreux), de se faire passer un savon - qu'on se gardera, ce coup-ci, de sucer - par une quelconque partie adverse, obstinée à ne comprendre pas, à mousser dans son coin, sans vous, sans votre savon, car vous savez, le savoir contenu dans le savon, c'est tout une sagesse poétique, un miracle de tous les jours, un Deutéronome quotidien, lui seul, ce savon, permet de glisser sur les mots, sur les mots, les mots, l'émo, l'émo, l'émo sous l'émoi, sur la pente des mots, l'émo, de l'émo, de l'émoi de l'émotif, de l'émotion et moi, de moi dans le savon glissé, perdu je

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